Amazon arrive en Ligue 1 et ce n’est pas la conclusion

Amazon arrive en Ligue 1 et ce n’est pas la conclusion

Pierre Rondeau

Vendredi 11 juin dernier, après des semaines de doutes, de tergiversations, de négociations et de tractations, on apprenait enfin que la LFP avait choisi le géant du web Amazon comme futur diffuseur de la Ligue 1, en association avec Canal+. Mais sitôt l’annonce faite, la chaîne cryptée condamnait le deal et se retirait du dossier. Que s’est-il passé exactement ?

On pourrait en faire une série sur plusieurs saisons tant il y a, depuis 2018, des rebondissements et des surprises. Rien ne se déroule normalement et calmement dans l’univers impitoyable du football. Après la chute de Médiapro, en octobre dernier, c’est Canal qui fait maintenant des siennes, après des mois de tension, et alors qu’il avait récupéré l’intégralité des droits de diffusion de la Ligue 1 française pour la fin de saison à seulement 35 millions d’euros. 

Tout a commencé là. Au-delà des pertes économiques, importantes puisque les clubs s’imaginaient milliardaires jusqu’en 2024, c’est tout un monde qui s’est écroulé. Canal, qu’on imaginait partenaire historique de la Ligue, n’a pas fait dans la dentelle et a constaté l’inintérêt des rencontres de Ligue 1 et a déclaré ne pas être intéressé pour prolonger le bail : les affiches de second rang n’étant pas assez prestigieuses puis surtout pas assez rémunératrices. Elles ne font tout simplement pas assez d’audience, disons les choses très clairement. 

Panique à la LFP, qui diffusera la ligue 1 alors si la chaine cryptée ne veut pas ? Bein ? Le partenaire qatari a rapidement communiqué son scepticisme et son attention de se focaliser sur le football européen, avec les droits obtenus des championnats italien, espagnol ou allemand ainsi que la Ligue des Champions. D’ailleurs, bien que la chaine ait obtenu, en 2018, le lot 3 de la Ligue 1, contenant les matchs du samedi 21h et du dimanche 17h, elle l’a aussitôt revendu à Canal pour 332 millions d’euros par an. 

Une proposition chiffrée a bien été faite courant mai, avec un association Canal-Bein et la création d’une nouvelle chaîne, pour 370 millions côté canal, qui récupèrerait alors les grandes affiches, et 165 millions côté Bein plus 78 millions de bonus, en fonction du nombre d’abonnés. En comptant ce qui était déjà payé avec la Ligue 2, à 18 millions d’euros, et les droits digitaux, à 42 millions d’euros, on aurait abouti à une modique somme de 673 millions d’euros dont 595 millions de part fixe. 

Pas mal pour un championnat qu’on pensait tombé en désuétude et relégué sous la barre des 600 millions d’euros. Pourtant, les dirigeants du foot français ont vu débarquer, au dernier moment, un nouvel acteur, un nouveau candidat : le géant du web Amazon. La toute puissante entreprise de Jeff Bezos, valorisée à la bourse de New-York à 1650 milliards de dollars, s’est jeté sur l’occasion et a candidaté sur les lots détenus initialement par Médiapro pour « seulement » 259 millions d’euros. 

L’américain a mis en avant son expérience, notamment avec la retransmission cette année de Roland-Garros, ses garanties financières (un bénéfice record de 21 milliards de dollars réalisé en 2020), une capacité à rajeunir l’audience de la Ligue 1 (avec sa plateforme Twitch par exemple) et à sacraliser l’événement via ses reportages sportifs. 

Réuni vendredi 11 juin, le conseil de la Ligue n’a pas hésité longtemps. Après 1h15 de délibération, c’est le ticket Amazon-Canal qui a été choisi, pour un total de 663 millions d’euros garantis.

Offre Canal - Bein  

370 millions d’euros Canal+ 2 affiches de L1
165 millions d’euros Bein Sport 8 affiches de L1
78 millions d’euros Bein Bonus
18 millions d’euros Bein Sport L2
42 millions d’euros Free Droits digitaux 

TOTAL : 673 millions d’euros  

250 millions d’euros Amazon 8 affiches de L1
9 millions d’euros Amazon 8 affiches de L2
332 millions d’euros Canal+ Lot 3
30 millions d’euros Bein Sport 2 affiches de L2
42 millions d’euros Free Droits digitaux 

TOTAL : 663 millions d’euros  

Seulement, rien ne s’est passé comme prévu. Aussitôt l’annonce communiqué, Canal+ a publié un communiqué de presse annonçant qu’il dénonçait le choix d’Amazon, qu’il refusait de conserver le lot 3, dont la valeur était jugée artificiellement gonflée, et qu’il se retirait de la diffusion du foot français. 

Ses arguments tiennent parfaitement la route : payer 2 rencontres, et seulement les choix 3 et 4, 332 millions d’euros parce qu’en 2018 la valeur avait été gonflée par la présence de Médiapro, peut énerver lorsqu’Amazon va débourser 259 millions d’euros pour les plus grandes affiches de Ligue 1 et de Ligue 2. Malheureusement, l’autorité de la concurrence avait donné raison à la LFP dans son litige qui l’opposait sur ce point précis à Canal+. 

Personne ne sait donc ce qu’il va se passer. Si le contrat de Canal va vraiment être rompu, si le lot va être remis en vente, ce qui n’est pas dans l’intérêt de la Ligue, si Amazon ou Bein vont le récupérer. Il peut arriver encore beaucoup de chose d’ici la reprise de la saison, et la série « droits TV Ligue 1 » n’est absolument pas terminée. Et pendant ce temps-là, c’est peut-être le téléspectateur qui en pâtit...

Pierre Rondeau
Pierre Rondeau
Economiste du sport - Journaliste - Co-directeur de l'Observatoire Sport et Société Jean Jaurès

Pierre Rondeau est professeur d'économie à la Sports Management School, spécialiste en économie du sport et en économie du football. Il est également co-directeur de l'Observatoire du Sport à la Fondation Jean Jaurès et chroniqueur pour So Foot & L'Equipe.

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