L'économie du Tour de France à l'ère du coronavirus

L'économie du Tour de France à l'ère du coronavirus

Pierre Rondeau

La 107 édition du Tour de France a commencé samedi 29 août dernier, après un report historique suite à l’épidémie de coronavirus. Tout est à repenser, avec son organisation, son protocole sanitaire et ses risques de contamination. Mais il fallait que le Tour est lieu, il en valait de son modèle économique.

Plus que centenaire, le Tour de France est le troisième événement sportif le plus populaire du monde, derrière les Jeux Olympiques et la coupe du Monde de football. La planète entière s’intéresse à cette épreuve le long des routes de France, qui offre suspense, aventure et dépaysement.

En mai dernier, lorsque l’épidémie était à son plus haut niveau, la question de l’annulation pure et simple s’est posée, tant les risques de contagion étaient élevés et le calendrier sportif bouleversé. De nombreuses compétitions avaient été arrêtées dès le mois de mars et un certain nombre de coureurs s’inquiétaient du risque sportif, au-delà du risque sanitaire.

Reporter ou annuler ?

En effet, bien que le Tour puisse avoir lieu à huit-clos, comme de nombreux championnats de football européen, la question restait sportive : comment assurer une athlétisation optimale et des performances maximum en s’étant arrêté de longues semaines ? Mais rapidement, c’est une autre réponse qui a été apportée.

Plutôt que d’annuler la 107 édition et reprendre seulement en 2021, comme les Jeux Olympiques de Tokyo ou l’Euro de football, l’organisateur ASO a décidé de reporter l’événement à la rentrée, entre le 29 août et le 20 septembre. Pourquoi une telle décision ?

L’intérêt sportif était évident, il fallait laisser le temps aux sportifs de reprendre et de retrouver un second souffle. Mais le point le plus important restait l’économie. Le Tour rapporte, c’est une évidence. Et beaucoup.

Une économie à l'équilibre depuis toujours

Le chiffre d’affaires de chacune des éditions sur la décennie 2010 est de 150 millions d’euros. Annuler une fois reviendrait tout bonnement à faire une croix sur ces potentiels revenus. Contrairement à l’Euro ou aux Jeux Olympiques, qui ont lieu tous les 4 ans, où un simple décalage ne revenait pas à renoncer aux gains mais à simplement les déplacer dans le temps. Pas le Tour. Il devait avoir lieu en 2020. Et il aura lieu en 2021, en 2022, en 2023, etc.

Sur ces 150 millions d’euros, 60% sont constitués par les droits TV, à plus de 90 millions d’euros. En France, c’est France Télévisions le diffuseur historique. Et alors que beaucoup s’inquiétait d’une probable baisse des audiences, avec une retransmission en septembre, lorsque les gens sont retournés au travail, donc d’une baisse des recettes publicitaires, elle n’a pas eu lieu.

France 2 et France 3, dès le retour de la grande Boucle, ont battu des records d’audience l’après-midi, avec des pointes à plus de 3 millions de téléspectateurs. L’intérêt du Tour n’a donc pas faibli, même en septembre.

Les gains médiatiques et les revenus commerciaux

Une autre problématique, les revenus tirés des villes-organisatrices. Dans la mesure où le Tour de France est l’un des rares événements sportifs entièrement gratuit, sans ticket payant pour assister aux joutes à vélo, les organisateurs imposaient un prix d’entrée aux communes pour devenir ville-départ, 60 000€, et ville-arrivée, 100 000€.

La publicité étant sans commune mesure, avec des millions de téléspectateurs à travers le monde, les retombées étaient très élevées. Une étude de 2013 a notamment montré que la ville de Dax, en déboursant quasiment 200 000€ pour être à la fois ville de départ et ville d’arrivée plusieurs fois, avait bénéficié de plus de 1 million d’euros de retombées économiques par le tourisme et la visibilité, soit un multiplicateur direct de 5.

Or, ici, si protocole sanitaire, si risque pandémique, si restriction dans les mouvements de foule, si ralentissement de l’industrie hôtelière, où serait l’intérêt ? Nous ne savons pas encore si les villes participantes ont exigé un remboursement partielle des coûts ou si elles attendent de voir si, malgré tout, les résultats seront là. Parce que du côté d’ASO, renoncer à ces entrées serait risqué, à plus de 22,5 millions d’euros.

Dernier point important, qui va aussi poser problème sur les montants investis, les recettes marketing. Via le sponsoring et le merchandising, c’est plus de 37,5 millions d’euros qui rentraient dans les caisses des organisateurs. Seulement, au temps de la Covid19, la caravane du Tour trouvera-t-elle des fidèles ? Les fans seront-ils au rendez-vous ? Verra-t-on plus de 12 millions de supporters le long des routes, comme on avait l’habitude de le voir les années passées.

C’est ici que le bât blesse et qu’il faudra très certainement rendre des comptes. Pour l’instant, et depuis le début du Tour, tout le monde s’accorde à dire qu’il y a moins de monde dehors. Les vacances sont finies et, surtout, l’épidémie guette et inquiète. Devra-t-on s’attendre à une réduction des recettes commerciales et, par conséquence, à une diminution du prize-money, estimée en 2019 à 2,3 millions d’euros ?

Les coureurs peuvent commencer à s’inquiéter...

Pierre Rondeau

Pierre Rondeau
Pierre Rondeau
Economiste du sport - Journaliste - Co-directeur de l'Observatoire Sport et Société Jean Jaurès

Pierre Rondeau est professeur d'économie à la Sports Management School, spécialiste en économie du sport et en économie du football. Il est également co-directeur de l'Observatoire du Sport à la Fondation Jean Jaurès et chroniqueur pour So Foot & L'Equipe.

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