Interdire les rencontres nocturnes, la fin de l’abondance ?

Interdire les rencontres nocturnes, la fin de l’abondance ?

Alors que l’Europe entière assiste, avec effroi, au conflit entre l’Ukraine et la Russie, alors que la France a connu l’un de ses étés les plus chaud de son histoire, avec des cas de sécheresses et d’incendie ravageurs, alors que l’inflation se maintient à des niveaux inédits, la rentrée s’annonce tendue.

Partout, on affiche une accélération du dérèglement climatique et de grosses difficultés d’acheminement de l’électricité. Beaucoup, y compris le président de la République, Emmanuel Macron, appelle à la fin de l’abondance et à l’ère de la sobriété. Il faut commencer à ralentir, à faire des économies, à réduire la consommation d’énergie, à imposer une forme de radicalité énergétique et environnementale, tout du moins une réelle transition. Car, il est malheureusement évident que si rien n’est fait, on doit s’attendre à des coupures dès cet hiver et des crises encore plus graves dans les années à venir. 

Ainsi, en juillet dernier, au pic des canicules, la ministre des Sports Amélie Oudéa-Castéra a émis l’hypothèse de faire interdire les matchs nocturnes, en l’occurrence de football et de rugby, les deux principaux sports professionnels outdoor, jugés particulièrement énergivores. La ministre allait dans le sens d’une demande faite directement par Matignon et la première ministre Elisabeth Borne, exigeant de la part des ministères de montrer l’exemple.  

L’idée d’Amélie Oudéa-Castéra part du principe que les rencontres nocturnes, lorsque les stades sont allumés à leur maximum, pour satisfaire à la fois le public et les téléspectateurs, consommeraient trop d’énergie. Parce que la production d’électricité tournerait au ralenti, parce que le conflit en Ukraine bloquerait les importations de gaz, parce que les prix ne cesseraient d’augmenter, le foot et le rugby devraient être relégués à un simple loisir secondaire et ainsi être suspendu, le temps de la sobriété et du relâchement. 

A première vue, on ne pourrait qu’applaudir cette proposition. Si l’on va manquer d’électricité cet hiver, il est évident qu’il faut privilégier les radiateurs et les chaudières des ménages, encore plus des plus précaires, plutôt que la consommation des stades, symbole d’une activité oisive et dissolue. Seulement, en y regardant de plus près, cette proposition pourrait avoir plusieurs effets pervers.  

Un risque de réduire la valeur des droits TV

D’abord, concernant la valorisation des droits de retransmission des matchs de Ligue 1, en football, et du Top14, en rugby. Pour l’instant, on ne sait pas si l’interdiction des matchs nocturnes ne concernait que la période hivernale, que les jours de tensions énergétiques ou tout le long de l’année. S’il s’agit d’une interdiction ad vitam, cela porterait un coup fatal aux tentatives des ligues sportifs de faire croître la valeur des droits tv, éléments essentiels de l’économie des clubs professionnels.  

Aujourd’hui, dans le football, la Ligue 1 est valorisée à 663 millions d’euros sur les droits nationaux. En imposant une fin des affiches le soir, y compris l’affiche du vendredi et du dimanche soir, les deux rencontres phares de chaque journée, on porterait un coup fatal à la captation d’audience pour les diffuseurs. Sans suffisamment de téléspectateurs, ces derniers seraient désincités à surenchérir et refuseraient d’augmenter le prix des droits. Alors même que la LFP ambitionne d’atteindre les 1,8 milliard d’euros par an dès 2032. Le business-plan serait largement remis en question et tout l’appareil financier de la ligue pourrait en pâtir. Pourquoi Amazon ou Canal+ payerait plus s’ils auraient l’impossibilité de diffuser des rencontres au moment où les audiences sont les plus importantes ? 

Et sans valorisation, c’est autant d’argent en moins pour l’ensemble du foot amateur et, globalement, du sport amateur. Rappelons que ces derniers sont financés à travers la logique verticale de la redistribution. La taxe Buffet, mise en place en 2001, prélève 5% sur le total des droits TV et sont reversés, jusqu’à 75 millions d’euros par an, à l’Agence Nationale du Sport, pour le financement du sport amateur. Si moins de droits tv, c’est mécaniquement moins d’argent pour l’ANS et donc pour des milliers de clubs et d’équipes bénéficiaires. C’est le même principe avec la taxe FAFA, fonds d’aide pour le football amateur, mise en place par la FFF en 2010, après le scandale de Knysna. 2,5% des droits tv du foot sont prélevés pour les clubs amateur affiliés à la fédération française de football. En bloquant cette perspective de croissance, on bloque la redistribution et la solidarité. 

On pourrait néanmoins rétorquer que l’interdiction ne concernera que les matchs hivernaux voire les seuls matchs joués lors de tensions énergétiques. Mais même-là, il y aurait des problématiques économiques. Interdisez un match, comme lors des épisodes des gilets jaunes, entre 2018 et 2019, et cela amène les diffuseurs à exiger des réparations, même si les rencontres seront reportées et jouées plus tard. Les réparations, payées par la LFP, seront autant d’argent en moins pour l’ANS et le fonds d’aide pour le football amateur. Nous restons dans cette logique verticale de la redistribution et de la solidarité.  

Enfin, quid des supporters ? En interdisant les matchs le soir, on conduit inévitablement à réformer le calendrier des rencontres et à imposer des affiches l’après-midi et, pire, à les programmer la semaine plutôt que le weekend, afin de faire de la place. Comment assurer le déplacement des supporters si l’immense majorité travaille et à des obligations familiales et personnelles ?  

Pourtant, il existe des solutions alternatives

A l’inverse, pourquoi le ministère des sports n’a pas réfléchi à une obligation faite aux clubs et aux stades d’une véritable transition énergétique et écologique ? Pourquoi ne pas imposer, sous peine d’amendes voire d’interdictions de matchs, d’importants investissements structurels, la rénovation thermique des bâtiments, la récupération des eaux de pluie, des systèmes de tuyauterie basés sur l’économie symbiotique, plus d’économie et de sobriété ? Pourquoi ne pas rendre obligatoire l’installation de lumières LED dans les stades, qui permettent des économies de plus de 25% par rencontre ? Pourquoi ne pas conditionner l’octroi de la licence club, versé par la LFP, en football, et la LNR, en rugby, à des installations de panneaux solaires sur les toits des enceintes ? Pourquoi ne pas viser le développement et l’investissement plutôt que l’interdiction et la décroissance ?  

Il existe des possibilités bien plus nombreuses que la simple interdiction des rencontres nocturnes. Elles pourraient avoir des impacts plus importants que la proposition de la ministre Amélie Oudéa-Castéra mais elles restent abstraites et moins voyantes, moins impactante auprès de l’opinion publique. Seulement, au moment où les restrictions viennent à se multiplier, il serait peut-être bon d’oublier la logique politique pour privilégier le pragmatisme écologique et énergétique.

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