Le sport amateur est-il en crise ?

Le sport amateur est-il en crise ?

Pierre Rondeau

Le sport amateur dans la panade ?

La crise de la covid19 a été l’une des plus dures et des plus sévères que le monde ait connu. Tous les secteurs d’activité, des plus gros aux plus petits, ont été touchés et tout le monde en a pâti, en pâtit et en patira encore, pendant de longues années. Et le sport, comme tant d’autres, en est l’une des principales victimes.

Selon la Banque Mondiale, l’économie mondiale devrait subir une récession, en 2020, de plus de 10%. En France, le taux de chômage devrait augmenter, alors qu’il avait réussi, difficilement, à passer sous la barre des 8%, et la dette, déjà très haute, risquerait d’atteindre les 130% du PIB.

Les catastrophes de la pandémie de coronavirus sont énormes, les effets couplés du confinement, avec les arrêts d’activité, et du ralentissement de la consommation, ont provoqué déboires et débordements. Si la production s’arrête, si la confiance s’amenuise et si la demande n’avance, plus rien ne fonctionne et l’économie s’arrête.

La génération 2020 a donc connu la plus grande crise de son temps, plus importante encore que celle de 1929 ou celle des années 1970. Dans ce charivari impressionnant, les gouvernements ont tenté de trouver des solutions, ont mis en place des plans de relance, des plans de soutien, des mécanismes de redistribution, des procédures de chômage partiel.

Beaucoup ont profité des aides, d'autres non...

Certaines entreprises ont alors pu en profiter et alléger quelque peu l’effet de la récession. Par exemple, certaines ligues de sport professionnel, comme la LFP en football ou la LNR en rugby, ont obtenu de l’Etat un prêt garanti à 0% afin de compenser la perte des droits TV issue de l’arrêt des championnats, ainsi qu’une subvention au chômage partiel, plafonnée à 4,5 fois le SMIC, en période de confinement.

Les alarmes et les infernales projections n’ont donc pas eu lieu. Aucun club n’a fait faillite et aucun joueur ou joueuse ne s’est retrouvée au chômage. Ce secteur aurait donc été sauvé. Vraiment ? A regarder de plus près, il y a quand même une distinction à faire, et non des moindres.

Si l’on réduit le sport au sport, sans nuance, effectivement, le secteur économique n’a pas souffert. Mais alors pourquoi tant d’observateurs et de spécialistes n’ont cessé de crier à l’aider durant l’été ? Pourquoi les indicateurs sociaux s’affichent si faibles depuis le mois de juin ? Comment expliquer qu’autant de présidents de clubs, aux quatre coins de l’hexagone, soient si vent-debout contre la politique du gouvernement ?

Parce que rien n’a été fait. C’est simple, le sport amateur a été littéralement abandonné. C’est simple, sur le plan de relance de 100 milliards d’euros présenté par le gouvernement le jeudi 3 septembre dernier, 30 millions d’euros vont être fléchés en direction des structures amateurs, soit seulement 0,03% du total. Il ne représente rien économiquement, puisqu’il est, par définition, amateur, donc sans effectif salarié ni impératif de lucrativité. Il ne pèse symboliquement rien, puisqu’il ne représente qu’un loisir, à l’inverse des PME, des TPE, des entreprises françaises, génératrices d’emplois et de pouvoir d’achat.

Ainsi, aucune aide, entre le mois de mars jusqu'à aujourd’hui, n’a été accordée aux plus de 300 000 clubs en France et aux plus de 10 millions de licenciés. Pourtant, le sport amateur pèse plus de 6 milliards d’euros de retombées économiques et de chiffre d’affaires, bien plus que le football professionnel, à 2 milliards, notamment. Il est donc, en plus d’être un vecteur essentiel à la socialisation, la solidarité et au vivre-ensemble, un poids économique sans précédent.

Aider le sport amateur, c'est aider la société

Oui mais voilà, pas de salarié, des bénévoles, donc pas d’intérêt à les aider. Une manne financière essentiellement issue des adhésions et des cotisations des pratiquants, à 42%, qui a fondu comme neige au soleil durant le confinement. Des gains perdus avec l’annulation des matchs et des compétitions. Sans prêt garanti d’Etat pour compenser le manque à gagner. Puisque c’est du sport amateur.

Rien n’a été décidé pendant le confinement et l'action d'aujourd'hui reste faible. La participation de l’Etat s’est maintenue à 16%, sans qu’une augmentation des subventions ou un déplafonnement de la taxe Buffet ne soit votée. D’après Arnaud Saurois, maître de conférences à l’Université de Poitier, et spécialiste de l’économie du sport amateur, «  le secteur entier crie famine. Il n’a absolument pas été aidé durant la crise et vit ses heures les plus difficiles. […] Il serait temps que l’Etat prenne des décisions, et vite  ».

Mais alors qu’a fait l’Etat ? Pour Régis Juanico, député de la Loire, rien, malgré les très nombreuses propositions faites par la droite comme la gauche. «  Durant de long mois, avec la commission sport à l’Assemblée, nous avons rencontré des présidents de clubs, de districts, de fédérations, nous avons discuté, écouté, entendu. Et nous avons proposé plus d’une vingtaine de propositions dans un rapport complet. Il faut maintenant que le gouvernement et la majorité parlementaire décident de les voter et de les appliquer. Il en va de la survie du sport français  ».

Car, au-delà des impératifs financiers, le sport amateur est essentiel. Il participe à la construction et la consolidation de la fraternité, favorise la santé du plus grand nombre, lutte contre l’obscurantisme et le communautarisme, assure un vivre-ensemble fort et pérenne. Encore plus aujourd’hui, il est impossible qu’il soit abandonné à son propre sort.

Pierre Rondeau

Pierre Rondeau
Pierre Rondeau
Economiste du sport - Journaliste - Co-directeur de l'Observatoire Sport et Société Jean Jaurès

Pierre Rondeau est professeur d'économie à la Sports Management School, spécialiste en économie du sport et en économie du football. Il est également co-directeur de l'Observatoire du Sport à la Fondation Jean Jaurès et chroniqueur pour So Foot & L'Equipe.

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