Le football en état d'alerte...

Le football en état d'alerte...

Pierre Rondeau

L’annonce a fait l’effet d’une bombe. Alors que la France venait de battre l’Ukraine par 7 buts à 1, le quotidien l’Equipe révélait que le principal diffuseur de la Ligue 1, Médiapro, demandait des facilités financières à la Ligue de Football Professionnel (LFP). Un véritable cataclysme ?

« On veut renégocier le prix ». Voilà comment Jaume Roures, le président de Médiapro, diffuseur, à travers sa chaîne Téléfoot, de 80% du football français (Ligue 1 et Ligue 2 compris), a commencé son interview dans le quotidien L’Equipe, jeudi 8 octobre dernier. 

L’espagnol reconnait que la crise perturbe grandement l’environnement économique et le prix, qui avait été négocié en 2018, de 814 millions d’euros, n’avait plus aucune légitimité. D’après Roures, l’épidémie de Covid19 « touche beaucoup d’aspects de l’exploitation des droits », comme avec la fermeture des bars ou l’effondrement du marché de la publicité. 

Conséquence, Médiapro ne peut plus payer et annonce qu’il ne s’acquittera pas du deuxième versement de 172 millions d’euros, normalement prévu le 6 octobre. Pire encore, le groupe demande à réévaluer le prix, à le mettre en adéquation avec la conjoncture réelle. 

Du rêve au cauchemar

C’est une catastrophe pour le modèle économique du football français. Jusqu’ici, en moyenne, les recettes droits TV représentaient plus de 36% des revenus des clubs pro, et jusqu’à 60% en retirant la variable « trading », équivalent à la vente de joueurs. Il y a deux ans, lorsque la Ligue de Football Professionnel (LFP) avait conclu le deal historique avec Médiapro, la Ligue 1 était rentrée dans l’histoire en dépassant le milliard. Entre les lots vendus à ce nouvel acteur et d’autres à Bein Sport (depuis revendus à Canal+), le football français était évalué à 1,153 milliard d’euros par an jusqu’en 2024. 

Jackpot pour les clubs. Ces derniers se voyaient déjà les rois du monde, s’imaginaient concurrencer les équipes étrangères, retrouver des lettres de noblesse Europe, augmenter les investissements et améliorer la compétitivité. Seulement rapidement, l’inquiétude a commencé à prendre le pas sur la joie. 

Un modèle très incertain

Au-delà de l’arrivée du coronavirus, qui a tout bouleversé, Très tôt, un doute s’est instillé dans les esprits des gens, lorsque Téléfoot a présenté son business-model : avec des droits achetés 814 millions d’euros, avec un catalogue comprenant seulement 80% de la Ligue 1 et de la Ligue 2, la chaîne voulait s’imposer à 25€ en captant 3,5 millions d’abonnés, le seuil de rentabilité. 

Personne n’y croyait, personne n’imaginait qu’ils puissent y parvenir. Jamais aucune chaîne mono-sport n’a réussi à réunir autant de téléspectateurs, surtout à un prix si élevé. Canal+, présent depuis plus de 30 ans, est certes à 39€ mais dispose d’une offre dépassant le foot, avec le cinéma, les séries, etc. Ce qui leur permet de capter 7,9 millions d’abonnés au total.  

Quant à Bein Sport, autre concurrent, la chaîne qatarie coûte moins chère, moins de 15€, a plus de droits sportifs (les championnats étrangers, la NBA, le rugby, le tennis, etc.) et n’a quasiment jamais dépassé les 3,5 millions d’abonnés (une fois, en 2018, avec la coupe du Monde de football). 

Conséquence, Médiapro – Téléfoot ne pouvait pas réussir. Et tout le monde s’y attendait. Les premiers chiffres, après 2 mois d’existence, commencent d’ailleurs à sortir, bien que non officiels. Entre 275 000 abonnés, selon RTL, et 500 000 selon RMC. Nous sommes très loin du compte.  

Finalement, lorsque Jaume Roures a demandé un report du versement et une renégociation du prix, ça n’a choqué personne. Seul le timing interpellé. Si rapidement, si tôt dans la saison. La Covid19 a accéléré les choses.  

Que va-t-il se passer ?

Et maintenant ? Plutôt que de se demander qui est responsable, pourquoi la Ligue a accepté si vite un diffuseur étranger inconnu au bataillon, sans aucune garantie bancaire, intéressons-nous plutôt à la suite de la situation. 

Si tout s’écroule, si Médiapro fait défaut et se retire de la diffusion. Economiquement, cela sera catastrophique pour les clubs. Ils avaient budgété leurs comptes jusqu’en 2024, en supposant que les droits seront versés jusqu’à cette date. Maintenant, il faut tout changer et tout revoir. Sans parler du manque à gagner au niveau de la billetterie, avec les mesures sanitaires, et les pertes liés au trading, durant le mercato estival. 

La masse salariale, représentant 55% des dépenses moyennes des clubs, pourrait chuter, pourrait être utilisé comme variable d’ajustement, des plans sociaux pourrait être organisés dans certaines équipes – cela s’est déjà vu en Angleterre, notamment à Arsenal, avec 55 salariés licenciés. Une restructuration complète du football français devra s’organiser. Cela sera obligatoire si l’on veut éviter tout risque de faillite générale. 

Où verra-t-on du football demain ?

Au niveau des droits eux-mêmes, la LFP les récupérera et, selon les statuts de la Ligue, aura 6 mois pour organiser une nouvelle vente. Entre-temps, les journées de championnats seront vendues à l’unité à l’ensemble des chaînes de télévision. Un problème se pose alors : après la rupture d’un contrat, encore plus en période de crise économique, forcément les acteurs présents seront désincités à surenchérir et à proposer des sommes équivalentes au précédent deal. 

Il n’est donc absolument pas certain que le football français retrouve son milliard. Sauf si, mais tout cela n’est que fiction ou projection, la France ouvre grand ses bras aux tous puissants GAFA, les majors du web, valorisés à plusieurs milliards. Le nom d’Amazon revient régulièrement en coulisses.  

L’entreprise dirigée par Jeff Bezos, multimilliardaire, pourrait être intéressée par la diffusion du football français ? Peut-être. Ou peut-être pas. Car, selon certains, les GAFA ont un tout autre projet : laisser mourir le football européen et, sur ses cendres, construire la Super-Ligue Européenne. 

Mais c’est une autre histoire...

Pierre Rondeau

Pierre Rondeau
Pierre Rondeau
Economiste du sport - Journaliste - Co-directeur de l'Observatoire Sport et Société Jean Jaurès

Pierre Rondeau est professeur d'économie à la Sports Management School, spécialiste en économie du sport et en économie du football. Il est également co-directeur de l'Observatoire du Sport à la Fondation Jean Jaurès et chroniqueur pour So Foot & L'Equipe.

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